Deux restaurants, un à Londres, l’autre à Paris, cet été une table éphémère à San Sebastian, la participation à Top Chef, 2 petites filles. Il y a 2 jours, tu servais 500 couverts au Château de Versailles pour le dîner annuel de l’Association pour vaincre le cancer de David Khayat, ton port d’attache dans le Pays Basque, en fait Superwoman, c’est toi !
Non, c’est vrai que je travaille beaucoup, mais j’ai la passion de ce que je fais, c’est mon moteur. Et surtout je suis très bien entourée, j’ai des collaborateurs qui me connaissent très bien et me comprennent, ils sont près de moi depuis longtemps, en cuisine, en salle, dans les bureaux. Sans eux ce serait impossible, je peux me reposer sur eux, à part la création, j’ai appris à déléguer, je l’ai fait petit à petit, au début je ne savais pas. Le temps m’a appris.
Sur le plan personnel, j’ai une super nounou, c’est très important sinon mes petites filles souffriraient de mon rythme, j’ai des horaires impossibles, au moins 7 nuits par mois je suis absente, et quand je suis là, ce n’est pas évident non plus.
Tu entames une nouvelle saison de Top Chef, cette fois tu dois te battre pour convaincre les concurrents de venir avec toi… et puis après il faut les coacher mais sans prendre la main, pas évident.
Non c’est sûr, il faut les aider, mais surtout les laisser s’exprimer.
Sinon la bataille de chefs, c’est une bataille dans l’amitié et la bonne humeur, entre nous, il y a beaucoup de complicité.
Cette nouvelle formule est plus intéressante, non ? Vous participez vraiment.
Oui, mais c’un travail de titan, on est là tout le temps, sur tous les plans, pour les séances de sélection comme celles de rattrapage. On s’investit énormément auprès de nos poulains, on a envie de les pousser le plus loin possible, jusqu’à la victoire évidemment.
Penses-tu que ces émissions montrent à quel point ce métier est difficile ???
Je ne sais pas si ça se ressent, ils galèrent vraiment pendant toutes les épreuves, mais peut être qu’on ne montre pas assez la dureté du travail en cuisine, en revanche ça montre la passion, la capacité à se dépasser, à créer, ça rend ses lettres de noblesse à notre métier.
Etre chef ? C’est un sacerdoce, avec une dimension physique hors normes, je crois qu’on vieillit plus vite que les autres tellement on dépasse nos propres limites, quotidiennement.
Justement, pour toi, quelles sont les qualités essentielles pour être chef ?
En priorité, la passion, sans le feu sacré, c’est impossible de résister, il faut être travailleur, rigoureux, avoir soif d’apprendre, être capable de se remettre en question sans arrêt, humblement mais en gardant toute sa personnalité.
Fernand Point disait : « On recommence les frigos vides tous les matins », ça veut bien dire ce que ça veut dire !
C’est un métier où on est jugé matin et soir, par les clients et par le métier, la pression est énorme, comment arrives-tu à résister ?
C’est dur, surtout au début. Un matin, j’avais eu une critique très violente, j’étais effondrée et terriblement déçue pour mes équipes.
Ce jour-là, Isabelle Carré déjeunait au restaurant, elle m’a simplement dit : « Arrête de regarder ça ». Elle, c’est ce qu’elle faisait.
Finalement, je l’ai écoutée, je fais les choses avec tellement de sincérité, pour faire plaisir, donner du bonheur, si ça ne plaît pas, ça ne me remet plus en cause, parce que je ne triche pas.
Il faut savoir prendre du recul, ça m’a bouffé la vie, longtemps, avec la maturité, j’y arrive.
Quels sont tes ingrédients préférés ?
J’aime beaucoup cuisiner les légumes, les fruits, sauf le melon, je n’aime pas ça du tout, du tout, je n’y arrive pas, et le céleri non plus mais je l’utilise un peu malgré tout.
Quel est le chef qui t’a le plus marqué ?
Ducasse a été pour moi très important, c’est lui qui m’a dit : « Il faut y aller ! »
Il m’a révélé ce que j’étais, j’avais le goût et le respect du produit, ancré en moi, ça vient de loin, de ma famille, c’est ma force, c’est lui qui m’en a fait prendre conscience.
Sinon mon modèle, mes modèles plutôt, ce sont les Guérard, pour la cuisine, l’art de recevoir, du bien vivre, j’ai baigné là-dedans, j’ai grandi avec eux. Je les aime et les admire personnellement et professionnellement.
Michel Bras m’a beaucoup apporté, quand j’étais encore chez mon père, il était très présent.
Il y a aussi Thomas Keller, aux Etats Unis.
Et Michel Rostang, c’est ma famille parisienne, Caroline est ma meilleure amie, nous passons du temps ensemble.
Pierre Hermé, mon ami depuis mon arrivée à Paris et Jean-François Piège, je partage avec lui, on a beaucoup parlé dernièrement de mes nouveaux projets.
Tes filles aiment mettre la main à la pâte ?
Oui, comme elles sont gourmandes, elles font de la pâtisserie, mais comme tous les enfants du monde, la différence avec les autres, c’est qu’elles s’y connaissent… On ne risque pas de les tromper sur un produit.
Tu crois qu’elles ont envie de faire la cuisine plus tard ?
Non, pour le moment, la plus grande veut être styliste, elle dessine des habits, ça l’intéresse vraiment, la petite veut être… pop star… alors qu’elle est très très timide, c’est rigolo de les écouter parler et rêver.
Et maintenant, avec ce parcours incroyable, comment vois-tu l’avenir ?
Je ne changerai rien de fondamental, j’ai un rêve : faire le restaurant des grands-mères, où l’on retrouve l’authenticité, le partage, les valeurs fondamentales de la cuisine…
Aller vers plus de légèreté, d’amusement ; avec l’évolution du monde culinaire, il faut suivre et se remettre en question.
Dans les 18 mois qui viennent il va y avoir des changements, des nouveautés, j’en parlerai bientôt…
Enfin, un dernier mot, le Michelin France sort le 9 février, quel est ton rapport à ce guide aujourd’hui ?
Bien sûr, c’est important, j’ai des étoiles, je suis heureuse, j’en perd je suis malheureuse, mais je n’y pense pas, ce n’est pas mon but.
L’avis de mes clients est plus important, celui qui vient tous les jours et… qui revient, voilà ce qui compte pour moi.
Une phrase pour te définir ?
Je suis moi même, je ne triche pas. Ma force fait mon succès et mon succès fait ma force.