Millésime exceptionnel, 2005 a redonné l’espoir aux vignerons du Beaujolais touchés par une crise lancinante. En attendant la mise en bouteille, Fleurie, Morgon et Moulin à Vent, les crus proposent des vins jubilatoires qui se situent parmi les meilleures affaires du vignoble hexagonal.
31 octobre 2011
Avec le gamay, les vignerons de Morgon et de Moulin à Vent proposent des vins jubilatoires qui figurent parmi les meileures affaires du vignoble français.
« J’aime comparer le vin à la musique confie Guillaume de Castelnau, le régisseur du château des Jacques à Moulin à Vent. Dans les crus du Beaujolais, le sol fait briller le granite et le cépage gamay joue la partition. » Etrange rencontre, heureux mariage. Le gamay règne ici en maître et fait résonner les sables rouges, du granit décomposé qui lui donne ses fragrances et sa vitalité. Cette vieille roche arrivée par hasard lors d’une colère du Massif Central fait résonner un cépage aussi fantasque qu’indocile. Un raisin souvent mal-aimé et l’affaire ne date pas d’hier. Le 31 juillet 1395, Philippe Le Hardy, duc de Bourgogne ordonnait son arrachage jugeant « le vin de gamay de telle nature qu’il est moult nuisible à créature humaine… ». Fermez le ban. « Je pourrai dire des choses méchantes à son sujet enchaîne Gino Bertola du domaine du Granite. Il ne faut jamais hésiter à le faire souffrir, il doit en baver pour donner le meilleur de lui-même. » Il a toujours trop donné, c’est inscrit dans ses gènes » enchaîne le vigneron, « il faut tout mettre en œuvre pour tenter d’enrayer sa prodigalité. » Réduire les rendements a toujours été l’ambition des vignerons ambitieux qui plantent 12 000 pieds à l’hectare, plus que dans les grands crus classés de Bordeaux pour obtenir des vins plus riches et surtout plus complexes. Pourtant, le gamay se sent bien sur le granit rose et il n’a jamais pensé à conquérir le monde. Sur 33 000 hectares plantés sur la planète, 22 000 le sont dans le beaujolais. Et les crus racontent des vins chatoyants et jubilatoires, des rouges charmeurs et gourmands qui sentent les fruits rouges et les fleurs. Autant de vins immédiats, limpides et faciles qui favorisent le partage et mettent le bonheur dans les verres. Des rouges de plaisir à redécouvrir d’urgence, ils s’affichent à des prix modestes, si modestes qu’ils se situent parmi les meilleures affaires du vignoble hexagonal. Morgon le viril et moulin-à-vent l’aristocrate illustrent ainsi la convivialité en ventilant les infinies facettes du gamay.
MORGON : LA LOCOMOTIVE DU BEAUJOLAIS
Il n’a pas une mauvaise image le morgon chéri par les patrons de bons bistrots parisiens. Plus connu à Paris qu’à Lyon, il affiche une belle notoriété et s’affirme comme une des locomotives des crus du Beaujolais. Mieux, il n’en finit pas de progresser affirmant sa virilité naturelle par des vins qui n’hésitent plus à revendiquer leur terroir en cousinant avec les rouges bourguignons.
« Depuis 2000, les vignerons valorisent jouent les climats (une sélection de parcelles à la bourguignonne) confirme Dominique Piron. Le vignoble en avait besoin, il est très morcelé et souvent archaïque avec un système de métayage qui remonte au Moyen Age. » Pourtant les choses avancent sous la bannière de la Côte de Py… Par une épatante fantaisie, le terroir vedette de morgon adopte le dessin d’une entrecôte. « Le Py, c’est le puy auvergnat, le volcan éteint poursuit Dominique Piron. Un sol de basalte, des pierres bleues qui donnent tout leur tonus aux vins. » Pourtant, les chemins de la célèbre Côte sont piégeux et les vignerons ne cachent pas leur gêne devant l’évocation des climats de morgon. Plutôt que des terres privilégiées, il s’agit bien souvent de lieux-dits. « En effet, toutes les parcelles peuvent revendiquer un des six climats de l’appellation constate Patrick Bouland. Les délimitations figuraient bien dans la loi mais elles n’ont jamais été entérinées. Faudrait tout revoir et préciser les choses, mais bien des vignerons font blocage. » Autrement dit, ils tirent profit du flou artistique. Les amateurs savent bien que le terroir de la Côte de Py couvre l’ensemble de la colline et partant toutes les expositions, même les moins favorables. Les meilleures parcelles regardent vers l’Est comme Javernière justement revendiqué sur l’une des étiquettes de la famille Desvignes.
Pourtant, la réalité de la terre semble évidente et les palais les plus pointus notent que le climat Corcelette qui regarde Chiroubles et Les Charmes donnent des vins plus fruités que la Côte de Py, que Les Micouds et Douby se situent entre les deux et tirent sur le style du Régnié. Quant aux vins revendiquant le terroir Les Grands Cras, ils apparaissent plus civilisés avec des tanins plus souples que le morgon classique.
Patrick Bouland ouvre une bouteille de son morgon 1991, un de ses millésimes exceptionnels qui ont marqué l’histoire du Beaujolais. « Le 2005 devrait être de la même veine » lance-t-il en versant le vin dans le verre. Miracle, le vin a conservé une étonnante couleur, un rubis à peine marqué par des traces de vieillissement. Un formidable bouquet révèle des notes animales de cuir et de gibier puis le palais déploie une matière dense et profonde marquée par les épices et la minéralité. Le gamay a changé d’âme, on dirait du pinot noir. « Il morgonne constate le vigneron, le mot souligne les avatars d’un gamay aux multiples visages qui en regardant du côté de la Bourgogne sait parfaitement vieillir.
MOULIN A VENT : « UN TOUCHER PARTICULIER »
La Rochelle, altitude 260 mètres. Un piton de granit qui a donné son nom au domaine de Gino Bertolla, petit-fils d’Italiens du Frioul venu chercher fortune dans le Beaujolais. « Regardez lance-t-il en saisissant une poignée de sable rose, c’est du granit décomposé, du gore comme on dit ici. Les géologues disent qu’il contient un manganèse qui donnerait toute leur élégance au moulin-à-vent. Longtemps une mine installée à Romanèche-Thorins exploitait le filon de métal. » L’aristocrate de la région puiserait-il ses qualités dans le manganèse ? « Personne n’a jamais pu démontrer l’influence du métal sur la qualité des vins relève Eric Janin du Clos du Tremblaye. L’explication est trop facile, l’appellation se trouve sur les communes de Chénas et de Romanèche-Thorins et les vins illustrent des styles très différents. Au granit des parcelles les plus élevées répondent les terres argileuses des terrasses plus basses. Si les vins des deux terroirs partagent le même dessin, ils s’expriment par des nuances différentes : plus tanniques et plus fins du côté de la vallée. L’exposition me semble tout aussi essentielle. Le vignoble occupe un grand cirque, une cuvette qui fonctionne comme un four. La preuve ? En 2003, l’année de la canicule, il a trop chauffé et les raisins ont dépassé le seuil de la maturité, ils étaient trop cuits. L’appellation dessine ainsi un terroir très précoce, c’est le plus chaud des crus. Les degrés de sucre montent très haut, un degrés de plus en moyenne que dans les communes voisines. »
Pourtant, les anciens ne s’étaient pas trompés, la plus vieille appellation des crus du Beaujolais occupe une place à part dans la hiérarchie beaujolaise. Moulin-à-vent a connu sa première délimitation voilà un siècle, un statut reconnu par un jugement du tribunal de Mâcon du 19 avril 1924 qui excluait les vignerons qui voulaient profiter des bienfaits de la marque, douze ans avant la création des appellations contrôlées. Par leur race, leur distinction et leur complexité, les moulin-à-vent se situent au sommet et certains pourraient en remontrer à des bourgognes plus connus. « Pour moi, c’est une femme souligne Guillaume de Castelnau du château des Jacques. Le moulin-à-vent a des réactions très féminines, de l’élégance, de la délicatesse, de la grâce et un toucher particulier. » La Rochelle, Rochegrès, Champagne sur Chénas, Champ de Cour, Les Burdelines, La Roche, rares sont les climats qui apparaissent sur les étiquettes. Pour une bonne raison : 90% du moulin-à-vent est vendu par un négoce peu soucieux de faire parler les terroirs…
NOS BONNES ADRESSES
MORGON
Dominique Piron
La régularité et l’excellence font partie de la panoplie des morgons de Dominique Piron. Il le démontre dans la réussite de son Côte de Py 2004, un millésime particulièrement difficile. Couleur intense, nez sur les fleurs, le vin présente un très beau fruit, une bonne densité et de la rondeur tout en mariant habilement la puissance et des tanins joliment domptés. Une finale nette et précise conclut un ensemble particulièrement gourmand.
69910 Villié-Morgon tél : 04 74 69 10 20.
Patrick Bouland
Les Charmes et Corcelette se retrouvent à parité dans la cuvée classique de Patrick Bouland. Un vin qui signe la terre de Morgon en paradant dans un nez sensuel, mariant la violette et la rose à une note minérale. Affichant un équilibre remarquable, il unit la puissance et la finesse, une chair gourmande et des tanins bien ronds, la complexité et un fruité brillant.
69910 Villié-Morgon tél : 04 74 69 16 20.
Louis-Claude et Claude-Emmanuelle Desvignes
En reprenant la propriété, la jeune Claude-Emmanuelle Desvignes, 8ème génération de vignerons, ne changera pas la tradition familiale des morgons classiques qui demandent du temps pour s’exprimer. La cuvée Javernière fait parler le meilleur terroir de la côte de Py avec un nez dense de petits fruits noirs. Bien balancé, il affiche de la profondeur et de la densité autour de tanins dodus. Un vin qui « morgonne » avec le temps de la maturité.
69910 Villié-Morgon tél : 04 74 04 23 35.
Domaine Hubert Lapierre
MOULIN À VENT
Domaine du Granit
Gino Bertola a parfaitement affirme son talent avec sa cuvée La Rochelle. Habillé d’une robe pourpre, le vin séduit par des notes de fruits rouges et de violette et par un bel équilibre fait d’un toucher gracile et bien balancé, de tanins fins et gourmands et d’un fruité impeccable.
La Rochelle 69840 Chénas tél : 04 74 04 48 40.
Château des Jacques
Repris par le négociant Louis Jadot en 1996, ce domaine demeure un des phares de l’appellation. Une situation enviable confirmée par la remarquable cuvée La Roche qui présente un nez opulent de fruits rouges et noirs aiguisé par la minéralité. La bouche combine souplesse et épaisseur révélant une chair élégante et toute en finesse.
71570 Romanèche-Thorins tél : 03 85 35 51 64.
Clos du Tremblay
Toujours à la recherche de la maturité optimale, Eric Janin n’a jamais joué les terroirs. Il préfère assembler les climats pour exprimer la grandeur du gamay et élaborer des vins exceptionnels comme son Clos du Tremblay. Pivoine et violette, le nez commence le tête-à-tête avec une rare élégance. La matière sait se faire soyeuse, les tanins apparaissent tout en rondeur, le fruit est gourmand. Il laisse une impression d’élégance, de finesse, de race et d’infini plaisir.
71570 Romanèche-Thorins tél : 03 85 35 52 80.