Depuis plus de quatre siècles, le tokay envoûte… Le vin hongrois qui danse sur les volcans fait résonner des arômes à profusion en imposant sa puissance et son énergie.
Plate comme la main, divaguant à l’infini, la plaine semble interminable… Steppe immense, la Puszta dessine une Hongrie sans relief et sans charme, à la limite de l’ennui. A 200 kilomètres à l’est de Budapest, la terre soudain frissonne puis les masses sombres de la montagne annoncent l’entrée dans le Tokaj Hegyalja, le pays du Tokay. Les paysages se mettent en place avec des coteaux couverts de vignes. C’est l’automne, les feuilles ont pris une teinte or, une couleur que l’on retrouvera au fond des verres.
On ne sait pas, on ne sait plus… Certains historiens attribuent la plantation de la vigne aux Romains quand le pays s’appelait encore la Pannonie. L’heure du vin de Tokay n’était pas encore venue. Le vin apparaît comme l’enfant du hasard et de la nécessité. La chronique, à moins que ce ne soit la légende raconte en effet que la région s’apprêtait à faire la guerre. Prudents, les vignerons décidèrent de retarder les vendanges. Deux mois plus tard, ils ramassèrent des grains bruns et fripés… Malgré leur apparence peu engageante, ils décidèrent de presser ces raisins pourris. Ainsi naissait le premier vin botrytisé, l’histoire se passait en 1576 plus de deux siècles avant Sauternes.
Les amateurs de vins devraient élever une statue à Máté Sepsy Laczkó, le premier théoricien de la vinification des raisins atteints de pourriture noble. Son manuel paraît en 1630 et donne un coup d’accélérateur aux vins de Tokay. Le prince de Transylvanie, Ferenc Räkôczi servit un verre de tokay à Louis XIV à Versailles, Louis XV en offre un verre à madame de Pompadour en lui lançant “vins des rois et roi des vins”. Il séduit les aristocrates qui gardent un flacon de tokay sur leur table de chevet, convaincus par ses vertus fortifiantes. Amateurs impénitents, Pierre Le Grand et Catherine de Russie entretiennent un régiment de cosaque dans le vignoble pour assurer le transport des vins. Plus tard, Voltaire lui dédia un poème, louant un vin qui donnait de la vigueur à la moindre fibre de son cerveau et, ranimait, au plus profond de son âme, les étincelles enchanteresses de l’esprit et de la bonne humeur. Fermez le ban ! Au XVIIIème siècle, le tokay est fêté comme le plus grand vin européen.
Sur un coteau du domaine, un rocher semble prendre la forme d’un sanglier. C’est ce caillou qui a donné son nom à la propriété, Disnókö signifie en effet “cochon” en hongrois. Le vignoble est ancien, il a appartenu à de grandes familles magyares, les Ràkóczi, les Lônyay, les Andrassy, les Almassy. Terroir précieux, sa qualité a été reconnue dès le XVIIIème siècle comme l’affirme un classement de 1722 qui le classe parmi les plus grands vins de Tokay. En 1949, l’arrivée des communistes au pouvoir porta un coup fatal à un vignoble, nationalisé et condamné à la production de vins blancs sans grand intérêt. L’ouverture de la Hongrie changea la donne, Tokay fut mis à l’encan et privatisé. En 1992, la branche vinicole d’une compagnie d’assurance “Axa Millésimes” se porta acquéreur de Disnókö. Le domaine venait rejoindre un groupe où figuraient déjà les châteaux Pichon-Longueville, Suduiraut, Petit Village en Gironde et la Quinta de Noval à Porto. Le nouveau propriétaire dut se retrousser les manches pour rénover le vignoble, replanter la vigne, construire un cuvier et creuser la colline pour y aménager des chais destinés à l’élevage des vins. Aujourd’hui, le domaine couvre 150 hectares pour 100 hectares de vigne, des coteaux exposés au sud et des vins figurent dans le peloton de tête des vins de Tokay. Il est dirigé aujourd’hui par Lászlo Mészáros qui met sa sensibilité et sa passion au service d’un domaine historique.
Le vignoble de Tokay serait-il situé dans des conditions idéales pour le développement de la pourriture noble? Sans aucun doute, il s’étend à la rencontre de deux chaînes de montagnes. L’une, le Zemplén, arrête les vents froids de l’hiver et du printemps venus du nord. L’autre, composée de collines, attise la force des vents qui s’engouffrent dans les défilés et assèchent les raisins. Après des étés longs et chauds, les bras morts de rivières Tisza et Bodrog, favorisent la formation des brumes automnales qui permettent la naissance et le développement du botrytis, ce champignon miraculeux qui favorise le miracle. Il concentre les sucres et les acides et développe des saveurs du raisin pour enfanter le liquoreux légendaire.
Le tokay danse sur les volcans. On a du mal à imaginer que cette terre désormais paisible fut couverte de volcans. Depuis, la roche s’est dégradée pour former des graviers et des sables qui se sont mélangés à des argiles plus récents. Ces sols, riches en minéraux, vont révéler l’âme du furmint, le cépage aristocrate du tokay qui occupe 80% du vignoble, un raisin à maturation tardive qui donne des vins puissants et acides. Singulièrement, son nom viendrait du français “forment”, un rappel de la teinte jaune du froment. Il est souvent associé au hârslevelü qui signifie “feuille de tilleul”, un cépage riche en arômes et en sucre qui couvre plus de 20% de l’appellation. Et l’on trouve aussi du sàrgamuskotàly, du muscat à petits grains, une variété d’appoint qui joue le rôle de la muscadelle à Sauternes.
La naissance du tokay suit la maturité des raisins, il se joue en deux temps. Les vendanges commencent dans le courant du mois de novembre. Un premier passage dans les vignes permet de ramasser les raisins passerillés et les baies gorgés de sucres, pas encore atteints de pourriture noble. Ils sont pressés et vinifiés en cuve selon la méthode traditionnelle pour donner des vins de base au tokay. Plus tard, dans le temps de l’automne, la pourriture noble a fait son œuvre, les baies fripées ressemblent à des raisins de Corinthe. Ils sont alors récoltés grain par grain puis entreposés dans des bacs en inox. Au bout de quelques jours, le miracle se produit. Sous leur propre poids, les raisins pourris donnent naissance à un jus brun et visqueux que les Hongrois ont baptisé “essencia”. Ce n’est pas du vin, c’est un nectar fabuleux qui peut contenir plus de 900 grammes de sucre par litre. Il est conservé religieusement dans des bonbonnes de verre. Au fil des ans, une lente et légère fermentation lui permet d’atteindre 5 à 6°. Certains amateurs se damnent pour cette quintessence de la vigne, le trésor du tokay. Malgré sa teneur en sucre extravagante, ce breuvage présente une forme d’harmonie intime en développant des arômes en profusion. Ce n’est malgré tout qu’un liquide extravagant qui doit sa réputation à sa rareté.
Pour le vin de tokay, le vigneron pratique l’assemblage. Il ajoute des raisins noblement pourris aux vins de base. La tradition locale appliquait une règle simple. L’intensité du liquoreux se mesurait à l’aide de hotte appelée “puttonyos” qui contenaient 25 kilos de raisins aszús. L’autre terme de l’équation était la barrique de Gönc, un récipient de 136 litres. Selon le nombre de hottes versées dans la barrique, on produisait ainsi des vins de trois à sept “puttonyos” selon une échelle qui intensifiait la puissance de la liqueur. Cette méthode est passée aux oubliettes, si le principe reste le même, le nombre de “puttonyos” se mesure par la teneur en sucre résiduel du vin. Ainsi, un vin Aszú de 5 “puttonyos” contient au minimum 120 grammes de sucre. Après une macération de un ou deux jours, le mélange est pressé, filtré puis mis en barriques de chêne pour un élevage de 2 à 3 ans.
Égrener les millésimes des tokays Disnókö, c’est pénétrer dans un monde baroque d’un vin qui défile dans une robe en or ambré. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’architecture du vin. Le sucre lui donne des courbes opulentes et lascives qui dessinent la volupté. Puis, le palais est réveillé par une cinglante fraîcheur qui rétablit l’équilibre. Jamais le vin ne paraît mièvre ni sucré, il se révèle dominateur et orgueilleux en déployant une fabuleuse énergie. Il laisse dans son sillage, une fabuleuse collection d’arômes et de fragrances. C’est l’un des délices de la dégustation, partir à la chasse aux parfums qui rappellent les fleurs, les agrumes confits, le miel, les fruits exotiques, les herbes aromatiques, les épices… Le 1999 est simplement sublime, le 2005 cuvée Kapi d’une pureté inouïe et le 1993 est entré dans la légende. Ces tokays peuvent se boire pour eux-mêmes en diluant le temps mais ils se mettent facilement au service d’un foie gras, d’un stilton, d’un roquefort, d’une volaille au curry ou d’un canard aux épices douces. Si vous aimez le gibier, surtout n’hésitez pas… Avec une daube de marcassin, un filet de chevreuil sauce Grand Veneur ou mieux, un lièvre à la royale, le vin hongrois conduit directement au paradis.
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Disznókö Tokaji Aszú 5 puttonyos 2007 17,90 €
Disznókö Kapi 2005 60 €
Disznókö Tokaji Aszú 6 puttonyos 2002 27,90 €
Disznókö Tokaji Eszencia 2000 185 €