La route qui quitte Banyuls pour s’enfoncer dans la vallée de Baillaury et atteindre l’Espagne prend des allures buissonnières. Pins parasol, agaves, figuiers de Barbarie, chênes-lièges, oliviers, la nature affiche sans détours ses sentiments méditerranéens. Plus loin, vers l’amont, la terre se chiffonne et prend de la hauteur. Autour de la vallée principale, des combes tranchent les collines pour créer des cirques qui accueillent la vigne. A couper le souffle. Les paysages dérivent dans l’ampleur, les collines rebondissent et la vue s’enfuie au loin vers la silhouette de la tour Madeloc et à l’Est vers la Méditerranée. Jamais la vigne n’est omniprésente, relayée par des garrigues et des boqueteaux qui rythment le plaisir, elle affiche la rigueur dans une nature sublime.
Très vite, le regard se fixe sur les vignes qui escaladent des pentes à donner le vertige. Le sol est littéralement sculpté par des « murettes », des petits murs de pierres sèches aux alignements impeccables. Relayés par les « agulles », d’autres murs qui coupent la terre par le travers, ils assurent le maintien d’un sol fragile et l’évacuation de l’eau, si abondante lors des gros orages. L’ensemble crée une étrange géométrie en dessinant des « gals de peu », des pieds de coq si caractéristiques des vignes qui courent sur Collioure, Banyuls-sur-Mer, Port-Vendres et Cerbère, les quatre communes de l’appellation. Les 5000 kilomètres de murettes qui impriment cette vieille terre exposent un travail titanesque et imposent un défi à la raison. Omniprésents, des schistes bruns colorent les rangs de vigne, créant un monde austère et minéral qui allume l’imaginaire. Les vignerons semblent entretenir un rapport d’amour et de haine avec cette terre terrifiante. La dureté du travail où tout doit se faire à la main et des rendements ridicules ont forgé le caractère en acier trempé des catalans. Certains jours, ils doivent regarder la plaine avec envie…
Comprendre le terroir de Banyuls a toujours été un défi. Le schiste est dominateur mais sur le même carré de vigne, on trouve des pierres blanches peu favorables au vin, des terres plus riches et des cailloux. L’exposition joue un rôle aussi essentiel. En 2003 avec la sécheresse, les vignes situées sur le haut du plateau ont brûlé et les bas de pentes ont donné des raisins superbes. Une autre année, ce sera l’inverse. Alors, si les gens de Banyuls ne parlent-ils pas de terroir, ce n’est pas forcément un hasard. Une évidence, l’appellation Grand Cru de Banyuls créée en 1962 n’est définie par aucune délimitation de parcelles, ce n’est qu’une obligation concernant la durée de l’élevage, 30 mois minimum. Une exception dans le vignoble français, pourtant si soucieux des terroirs.
Pourtant, les choses évoluent, les vignerons se penchent sur ces terres fantasques pour essayer de relier le vin à son sol. Définir une bonne parcelle n’est jamais scientifique, c’est le regard qui jauge en constatant l’état des pieds de vignes, les éléments du sol, l’exposition au soleil et au vent. Quant aux cépages, c’est souvent un joyeux désordre : une même parcelle aligne souvent plusieurs variétés de raisin. Si le grenache noir qui doit représenter plus de 50% de l’assemblage donne tout son caractère aux vins doux naturels de Banyuls, il est complété par les grenaches gris et blancs, le maccabeu, le carignan, la syrah et le cinsault.
DES VINS DE TERROIR
Avec un terroir qui n’a jamais marqué ni les traditions de l’appellation ni les esprits, les vignerons ont pris le vin à leur compte. Et l’histoire est ancienne. Les chroniqueurs rapportent que le Roussillon produisait des vins liquoreux sous l’Antiquité mais ce n’est que dans le courant du XIIIème siècle que l’idée d’élaborer des vins doux naturels prit forme. Médecin, alchimiste et théologien, Arnaud de Villeneuve apprit la fabrication de l’eau ardente auprès des arabes de l’école de Cordoue. Améliorant l’alambic, il découvrit le mariage miraculeux de « la liqueur de raisin et de son eau-de-vie ». Incidemment, il venait d’inventer le « mutage » qui donne naissance aux vins doux naturels.
Aujourd’hui, le banyuls « classique » poursuit cette longue histoire du vin catalan. « Classique » pour exprimer la pérennité et l’idée de la continuité. La vinification commence par la méthode traditionnelle: les raisins sont égrappés puis mis en cuve, la fermentation peut commencer. Lentement les sucres se transforment en alcool. A un certain degré d’évolution, le vigneron interrompt le processus pour presser les peaux et pratiquer le « mutage ». Il ajoute de l’alcool neutre qui titre 96° à raison de 5 à 10% selon le millésime et le style qu’il veut donner au vin. Le moment du mutage apparaît en effet comme une projection sur le futur banyuls. Muté tôt, le moût contient encore beaucoup de sucre. Muté plus tard, ce sucre s’est transformé en alcool, le vin apparaîtra plus sec. Mis en bouteilles, le banyuls présente une rondeur plus ou moins marquée. Elle est mesurée par un taux de sucre, 50 grammes pour le « sec », 75 grammes pour le « demi-sec », 100 grammes pour le « demi-doux » et 120 grammes pour le « doux ». Des informations qui hélas ne figurent pas toujours sur les étiquettes et seules les coopératives informent vraiment les amateurs.
A la dégustation, l’amateur doit pouvoir lire les tripes du vigneron dans son vin scandent les vignerons. Avec un terroir mis en réserve, le banyuls apparaît en effet comme l’illustration d’une sensibilité et d’un savoir-faire. L’homme prend le pas sur la terre. Plus que la vinification, c’est l’élevage qui va façonner la personnalité du Banyuls « classique ». Dans tous les vignobles ou presque, les vignerons fuient l’air qui transforme les vins en vinaigre. Sur la côte catalane, les vignerons le recherchent pour sculpter la personnalité du vin doux naturel catalan. Au contact de l’air, le vin s’oxyde et lentement acquiert un profil différent développant d’autres arômes et d’autres saveurs. Le maître de chais jongle avec les récipients : cuves de 300 à 1300 hectolitres, grands foudres de 150 à 300 hectolitres, demi-muids de 600 litres, barriques bordelaises de 225 litres qui en fonction de leur contenance sculptent la personnalité des banyuls. Ces contenants qui ne sont jamais ouillés c’est-à-dire jamais remplis complètement malgré l’évaporation naturelle ont des facultés extraordinaires. En 1950, la cave de L’Etoile a initié un nouveau rituel de l’élevage du vin doux naturel. Faire souffrir les vins au maximum, les briser pour qu’ils délivrent leur trame intime et le fond de leur âme. Mis en bonbonnes de verres non bouchés, les banyuls sont exposés aux intempéries pendant 1 à 2 ans. Les chocs thermiques associés à une oxydation maximale auraient dû tuer les vins. Paradoxalement, ce traitement les sublime en leur donnant une extraordinaire élégance comme le démontre le «Doux Paillé» de la cave, un vin doux naturel exceptionnel.
L’élevage forge l’âme du banyuls
« classique ». Avec le temps, le vin change de nature. L’oxydation éclaircit la robe, le grenat laisse la place au rubis puis au tuilé avant de dériver vers l’acajou et la topaze. Des bouquets somptueux se développent illustrant une palette aromatique d’une richesse inouïe racontant le pruneau, la figue sèche, la noix, la réglisse, l’écorce d’orange, le tabac, le cacao… Tous ces banyuls « classiques » nés des amours du vin et de l’air peuvent se déguster pour eux-mêmes, pour le plaisir de découvrir des arômes séducteurs et des saveurs sensuelles. Ils passent aussi à table et accompagnent avec talent une terrine de foie gras mais aussi le stilton anglais, le roquefort et toutes les pâtes persillées.
LE GOUT DES FRUITS ROUGES
Dans les années 1960, le docteur Parcé, propriétaire du Mas Blanc a regardé du côté du porto qu’il considérait comme le cousin naturel du banyuls. Il voulait retrouver l’esprit du « vintage » et du « last bottle vintage », des vins qui garderaient le fruit au maximum tout en maintenant un équilibre naturel. Ainsi naissait le « rimage », un nouveau banyuls qui emprunte au catalan, le mot « rim » qui signifie raisin. Aujourd’hui, Jean-Michel Parcé continue l’œuvre paternelle en élaborant des rimages salués par les amateurs du monde entier.
Sans doute, plus ambitieux que les banyuls « classiques », les rimages obéissent à une méthode d’élaboration plus rigoureuse. Ils exigent des raisins à bonne maturité et dans un état sanitaire impeccable. Le mutage se pratique en effet « sur grains », l’alcool neutre est versé sur les raisins en deux ou trois fois avant une macération qui dure une vingtaine de jours pour extraire au maximum le fruit des raisins. L’élevage se passe en cuve mais plus souvent en barriques de chêne neuf pour les vignerons les plus exigeants. Comme pour les vins rouges, il s’agit de conserver une typicité aromatique qui évoque les fruits rouges et noirs et leur structure tannique. Selon la nature du millésime, l’élevage dure de 6 à 12 mois et au moins 18 mois pour les « mises tardives ».
Autant le banyuls « classique » évoque un monde baroque avec un vin qui aime dessiner des courbes et séduire par des sombres fragrances autant le « rimage » semble proche d’un grand vin rouge. D’une couleur pourpre intense, il révèle des arômes de framboise, de cassis, de mûre et de fruits de roncier. A la différence des vintages portugais, l’alcool se fond rapidement libérant une matière dense, une trame puissante et une texture élégante pour les meilleurs d’entre eux. Si les rimages accompagnent les fromages bleus, leur champ d’action est plus grand, ils peuvent se marier avec des plats épicés comme les curries, les riz à l’encre de seiche et le gibier à poil. «Buvez-les jeunes» clament les vignerons en sachant qu’ils peuvent vieillir avec panache.
NOS MEILLEURS ADRESSES
Domaine du Mas Blanc
Jean-Michel Parcé fait partie des meilleurs vignerons de France. Grand maître du rimage, il produit des vins exceptionnels qui séduisent par leur pureté et leur race.
9, av Général De Gaulle 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 88 32 12.
Domaine de la Rectorie
L’autre Parcé du Banyuls, c’est Marc, un intégriste du Banyuls, défenseur du mutage sur grains et des rimages ambitieux. Optez pour la cuvée Montagne 2009 à l’équilibre parfait ou pour le Léon Parcé qui exhale des notes de fruits rouges confits.
65, av du Puig-del-Mas 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 81 02 94.
La Coume del Mas
Vigneron intransigeant, Philippe Gard connaît une éclatante réussite en analysant l’âme des terroirs de banyuls. Ses vins sont basés sur l’équilibre et l’harmonie comme le Quadratur 2009 qui allie puissance et envergure à un fruité séduisant ou le Quintessence qui illustre un banyuls rimage accompli.
3, rue Alphonse Daudet 66550 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 88 37 03.
Domaine de la Tour Vieille
La réussite du millésime 2009 peut se mesurer à l’aune de la cuvée Rimage qui parle les fruits rouges, la fraîcheur et l’élégance et avec La Pinède qui joue velours et rondeur en mettant l’accent sur la gourmandise.
12, route Madeloc 66190 Collioure tél : 04 68 82 44 82.
Domaine du Traginer
Jean-François Deu continue de labourer ses vignes avec un mulet. Cela tombe bien, en catalan, un traginer, c’est un muletier. Bon vigneron, partisan de l’agriculture biologique, il élabore de très bons rimages qui illustrent parfaitement la recherche du fruit. Pourpre, sentant les fruits noirs, ils développent une nature sauvage en s’appuyant sur une trame dense et concentrée et une finale explosive.
56, av du Puig-del-Mas 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 88 15 11.
Domaine Vial-Magnères
Comment s’étonner que le créateur du banyuls blanc produise le meilleur. Il propose des vins qui séduisent par la finesse et la délicatesse de leur bouquet. Ils ajoutent l’éclat, la noblesse et l’harmonie pour aiguiser le plaisir.
14, rue Edouard Herriot 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 88 31 04.
Cellier des Templiers
A côté d’une production courante, la plus grosse coopérative de l’appellation élabore de très beaux banyuls Grand Cru. Longuement vieillis et superbement élevés.
Cuvée Route balcon de Madeloc 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 98 36 70.
Cave de l’Etoile
Cette minuscule coopérative justement admirée pour ses très vieux banyuls classiques qui égrènent les millésimes et un formidable Paillé Tuilé élevé en bonbonnes.
26, av du Puig-del-Mas 66650 Banyuls-sur-Mer tél : 04 68 88 38 29.