Le velouté, la rondeur, la plénitude et l’élégance définissent les vins de Palmer. Des rouges qui racontent la terre de Margaux, une passion intense et aussi une tradition ancienne.
Château Palmer 1961, le vin appartient à l’inconscient collectif de tous les amateurs de vin. Cette année-là, deux gels à la fin du mois de mars et une fleur de vigne qui avait abondamment coulé ont donné de petits rendements magnifiés par un mois de septembre exceptionnel. Les amateurs qui ont eu le privilège de goûter mettre leur nez et leur lèvres dans ce vin de légende se souviennent d’une émotion indicible. Des arômes d’une folle complexité, une toucher soyeux, une volupté irradiante et une intense sensualité… Le vin tutoyait la perfection, il appartient à l’histoire des plus grands vins de Bordeaux.
Dès le XVIIIème siècle, une propriété appelée château de Gasq existait sur la commune de Cantenac au lieu-dit La Palu d’Issan, il allait devenir Palmer. Les Gasq appartenaient à la bourgeoisie et à la noblesse de robe bordelaise, ils étaient conseillers et présidents au parlement de Bordeaux. Et ils avaient participé à la “fureur de planter” qui avait balayé le Médoc dans le courant du XVIIIème siècle. Entre 1746 et 1785, les vins signés par la famille Gasq se font une jolie réputation, ils se vendent aussi chers que Pichon-Longueville et obtiennent des cours supérieurs à Lynch-Bages.
Palmer ne naîtra qu’avec le XIXème siècle. L’histoire est savoureuse, elle raconte l’époque où se croisent Casanova et Da Ponte, le librettiste de Mozart. Elle se passe en 1814 dans une diligence qui assure la liaison entre Lyon et Paris. Charles Palmer, un général sous les ordres de Wellington que l’on disait bel homme, séducteur et amateur de vins rencontre une veuve, Marie de Gasq… Le voyage est interminable, il dure trois jours… La conservation s’engage, très vite, on arrive aux confidences. La femme confie au général qu’elle se rend à Paris pour vendre un domaine viticole familial. Il est situé près de Bordeaux et il est connu pour produire de grands vins. Très intéressé, le galant et fortuné militaire fait des offres et se retrouve futur propriétaire médocain avant d’arriver à Paris.
Les Brown et les Kirwan à Margaux, les Lawton et les Barton à Bordeaux, les Britanniques avaient constitué un solide réseau dans le vignoble et le commerce des vins. Le général Palmer ne manquait pas de compatriotes pour demander des conseils pour entrer dans le monde du vin. L’Anglais amoureux de Margaux se révèle ambitieux, achetant des terres et des maisons dans le Médoc de la Restauration, mis à mal par les guerres napoléoniennes et le Blocus Continental. Il achète des vignes, des fermes, des maisons pour créer un vaste domaine de 163 hectares auquel il donne son nom comme c’était l’usage de l’époque. En 17 ans, il dépensera plus de 300 000 francs, somme considérable, pour construire le château, n’hésitant pas à recourir à l’emprunt auprès des banques locales. Résident à Londres, le général confia la direction de son domaine à un homme d’affaires qui avait plus d’entregent que de connaissances de la vigne et du vin. Malgré tout, le vin réussit à s’imposer outre Manche, le Palmer’s Claret devient l’un des rouges favoris de l’aristocratie anglaise.
Damned… Les années 1830 se révélèrent catastrophiques pour les vins médocains. La chronique raconte une décennie de misère : le 1833 fut jugé “vert”, le 1835 “sans classe”, le 1838 “sans moelle”. Après un 1842 “peu goûteux” et un 1843 “carrément mauvais”, les vins se vendent à vil prix… Le général doit se résoudre à mettre la clef sous la porte, la mémoire rapporte qu’il finit sa vie dans la misère. La faillite fut retentissante. Palmer, mis en vente aux enchères fut acquis par la Caisse Hypothécaire de Paris, le premier créancier du général anglais qui le gardera 12 ans. En 1853, les frères Emile et Isaac Pereire deviennent propriétaire de Palmer pour la somme dodue de 413 000 francs. Bonne affaire, le Médoc va connaître la réussite économique du Second Empire. Issus d’une famille bordelaise d’origine portugaise, les Pereire avaient fait fortune dans les affaires, ils avaient obtenu la concession de la ligne de chemin de fer reliant Paris à Saint-Germain-en-Laye, première marche d’une fortune qui allait devenir immense. Les nombreux changements entrepris à leur arrivée à la propriété furent vains pour obtenir le classement dû à son rang. Lors du classement de 1855, Palmer n’apparaît que 3ème Cru Classé. Il méritait sûrement mieux comme l’assène la réussite de quelques millésimes légendaires comme 1989, 1986, 1970, 1966, 1945 1928, 1900 et bien sûr le légendaire 1961.
Ambitieux et mondains, les Pereire font construire une demeure digne de leur rang et de leur réussite. Bâtie dans les années 1856-1857 sur les plans de l’architecte bordelais Burguet, elle illustre le goût incertain de l’époque en développant un style singulier et composite qui mélange les références. Le château prend la forme d’un simple corps de logis à deux niveaux avec quatre tours pointues qui donnent de la verticalité à l’ensemble. De hautes fenêtres et une grande porte vitrée rythment la façade en lui conférant un semblant d’élégance. Les Pereire ne manquaient pas d’ambition pour leur vin et ils avaient des relations mondaines. Résultat, ils surent faire de Palmer, l’un des meilleurs vins du Médoc. Les clients s’appellent le Prince de Galles et Claude Debussy. Pourtant, l’empire des Pereire est déjà révolu…
1938… C’est la crise dans le Médoc, tout est à vendre. Cette année-là, une société qui réunissait Fernand Ginestet, Frédéric Mälher-Besse, Louis et Edouard Miailhe et la famille Sichel prenait possession du château Palmer. Coût de la transaction : 300 000 francs, c’est-à-dire à peu rien mais personne ne voulait investir dans le Médoc. Plus tard, les familles Mälher-Besse et les Sichel, devenus seules propriétaires forgeront l’âme de Palmer en imposant l’idée d’une tradition et le respect d’un style.
UN TERROIR EXCEPTIONNEL
Aucun doute, le vin de Palmer sublime les meilleures terres de Margaux. Un sol de graves maigres, charriés par la Garonne depuis les Pyrénées compose la personnalité des 55 hectares de vigne. A côté d’une densité exceptionnelle de plantation de 10 000 pieds à l’hectare, une des singularités du vignoble réside dans un encépagement particulièrement riche en merlot. Palmer a en effet choisi la voie du milieu en retenant à parité merlot et cabernet sauvignon à hauteur de 47%, le reste étant dévolu au petit verdot, un cépage à la mode qui épice l’assemblage final. Singulièrement, il n’a pas toujours été ainsi. Dans les années 1920 en effet, le merlot ne comptait que pour 3% des plantations, le vin ne devait pas avoir la même allure.
Appartenir au club très fermé des plus grands bordeaux, c’est affirmer un style. Autrement dit se montrer aussi audacieux qu’exigeant. Autant l’avouer, la tension était un peu tombée à Palmer. Depuis 1998 et la création d’Alter Ego, le second vin du domaine, les ambitions ont été revesu à la hausse. Les résultats ne se sont pas faits attendre ; depuis 2000, Palmer a retrouvé son rang. L’arrivée au domaine de Thomas Duroux en 2004 a donné un nouveau coup d’accélérateur. Cet ingénieur agronome qui a fait le tour du monde du vin pendant 10 ans a remis les choses à plat, notamment à la vigne. Le vignoble a été revu avec une volonté de baisser les rendements, de rechercher les vraies maturités et de peaufiner les assemblages.
Évoquer le style des vins du château Palmer, c’est parler d’un style indicible, d’un toucher riche et soyeux qui évoque le velours, d’une exquise impression de profondeur, d’une rondeur baroque instillée par le merlot. Jeune, le vin s’habille d’une robe pourpre noir d’une incroyable intensité. Le cassis, la mûre, la cerise confite associés à un bouquet floral et une touche de bois maîtrisée composent un nez rayonnant et complexe. Les grandes années, Palmer laisse le souvenir d’un fruit magnifique, de richesse, de sève, de matière concentrée et complexe… Des sensations exquises qui n’entament jamais sa divine élégance. Et la fin de bouche témoigne d’un miracle d’harmonie et d’équilibre qui traverse le temps sans défaillir.
Château Palmer
33460 Margaux tél : 05 57 88 72 72.
www.chateaupalmer.com