Un passage de relais difficile
Texte Texte colonne 1Quand Alfred Tesseron reprend, dans les années 80, la direction de la propriété aux côtés de son père Guy, il est bien loin d’imaginer ce que la vigne lui réserve comme surprises.
C’est le commencement de l’incroyable rayonnement des grands vins de Bordeaux à travers le monde, les américains se les arrachent, entraînant comme toujours derrière eux le reste de la planète.
C’est aussi l’époque où la presse spécialisée débarque dans les vignobles pour les passer au crible, dégustations à l’aveugle, verticales, accords plats et vins, propriétés ouvertes aux visiteurs, tout est bon pour parler du vin.
En bien, et évidemment… en mal, les critiques sont sans pitié, et ce petit monde très fermé du vin, qui ronronnait depuis quelques décennies avec des marchés bien huilés et maîtrisés, va être obligé de se remettre en cause.
Ça bouge !
A part quelques années aux Etats Unis à gérer la partie commerciale de Pontet Canet, Alfred n’est pas un grand spécialiste de la vigne, mais ça l’intéresse, il est curieux et plutôt aventurier, avec de solides racines de propriétaire terrien charentais, (la famille Tesseron est dans le cognac depuis plusieurs générations).
A l’époque c’est Emile Peynaud qui est l’œnologue de la propriété, écouter et travailler aux côtés de ce grand homme va l’aider à développer cette passion qui ne l’a plus quitté depuis.
Mais la tradition a la vie dure, et face à son père, le vigneron en herbe va devoir s’imposer pour arriver à faire évoluer les méthodes de culture et de vinification… Quand le père passe dans les vignes au mois d’août et aperçoit des vendangeurs… il s’en étonne, le fils se perd dans des explications nébuleuses, jamais auparavant on ne faisait de vendanges vertes, espérant de la vigne le plus de rendement possible.
Quand, pendant les vendanges, le fils installe des tapis de tri pour écarter des raisins abimés, le père crie au gâchis ! Quand une partie de la récolte, jugée de qualité inférieure, est utilisée pour faire un second vin, Les Hauts de Pontet, là encore le patriarche se morfond…
Bref, Alfred doit se battre pour que les raisins entrant dans le grand vin soient absolument parfaits.
Le résultat est là
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Mais les résultats ne se font pas attendre, Pontet Canet brille par la qualité de ses vins, il faut dire que ce vignoble est exceptionnel, voisin de Mouton Rothschild, (certaines parcelles des deux propriétés sont imbriquées les unes dans les autres) et de Lafite, situé sur le « Plateau », une croupe de graves garonnaises du Günz, les meilleures du Médoc, bénéficiant d’un ensoleillement idéal, à quelques encablures du fleuve, le terroir jouit d’une situation privilégiée.
Guy Tesseron est un homme intelligent et il va très vite comprendre que ces nouvelles méthodes sont payantes et incontournables, et laisser son fils continuer dans cette direction.
Petit à petit, Alfred s’entoure de collaborateurs de qualité, chef de culture, maître de chai, œnologue vont l’accompagner dans sa recherche de perfectionnement. Il a senti que ce terroir n’avait pas encore donné toute son expression et il bien l’intention de tout faire pour l’aider à y arriver. Il a aussi compris que c’est la nature qui fait le vin, que l’homme n’est là que pour l’accompagner.
Depuis les années 90, le travail accompli dans ce sens a été fait sans relâche, avec beaucoup d’énergie et de courage, il a fallu tout revoir, tout reprendre à zéro, observer, expérimenter, parcelle après parcelle, l’entreprise est gigantesque,… les risques énormes.
Le passage en biodynamie
Depuis 1995, la culture est biologique, mais la vigne demande plus de liberté encore, ça paraît alors évident.
En 2004, un premier essai en biodynamie est tenté sur 14 hectares. Très vite, Alfred demande à Jean-Michel Comme, son allié dans cette quête de la qualité, d’aller plus loin.
Le domaine passe entièrement en biodynamie. Une première pour un Grand Cru Classé du Médoc.
En 2008, ce sont des chevaux de trait qui passent dans le vignoble pour remplacer les tracteurs qui écrasent sur leur passage de précieux alliés de la biodiversité, acteurs indispensables à ce type de culture.
Côté cuvier, le bois a retrouvé ses lettres de noblesse, et toutes les installations de contrôle des températures ont été démontées.
Chaque cuve a sa vie propre et raconte une histoire différente.
Là encore, c’est le vin qui parle, et c’est l’homme seul qui lui répond.
Au chai, le pourcentage de bois neuf des barriques s’est considérablement allégé, ramené à 50 %.
Depuis 2012, des amphores, spécialement conçues par Jean-Michel Comme, ont été installées pour accueillir le grand vin et lui permettre d’atteindre son expression la plus accomplie.
Un vin plein d’énergie
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En 2010, les vins du Château Pontet-Canet sont certifiés en agriculture biologique par Ecocert et biodynamique par Biodyvin pour l’intégralité du vignoble.
La première fois que j’ai goûté un vin élevé en biodynamie, c’était chez Jean-André Charial, au Château Romanin, dans les Alpilles, il y a plus de 20 ans, j’avais été très impressionnée par ce vin, je l’avais trouvé différent, plein d’énergie, très émouvant.
Quand je déguste un Pontet Canet, dans les derniers millésimes, c’est encore plus frappant, c’est une explosion ! Le vin me raconte son histoire, il est brillant, rutilant, frémissant, joyeux, ample… La vie est perceptible.
Je laisse à Michel Creignou, qui aurait dû écrire ce portrait si le destin n’en avait décidé autrement, le soin de vous raconter le millésime 2010 qu’il avait dégusté lors d’un séjour à Pontet Canet.
Je crois que personne ne saurait en parler mieux que lui.
« Le monde entier a applaudi la réussite du millésime. Pontet Canet se situe au sommet et d’aucuns affirment déjà qu’il est entré dans la légende. C’est le premier millésime certifié bio et biodynamique à 100 %. Le vin semble presque noir, d’un pourpre profond et intense. Le nez, mûr et généreux associe des arômes très purs de cassis, de violette, de rose et de réglisse. Une magnifique harmonie interne compose un rouge symphonique qui associe une matière chatoyante, une fraîcheur exquise, des tanins nobles et un fruité rayonnant. Le vin semble délié et gracieux, il laisse le long souvenir d’un plaisir accompli. »
Aujourd’hui, Alfred est épaulé par Mélanie, la fille de son frère Gérard, la même passion les tient soudés dans la direction du domaine.
Depuis son arrivée à Pontet Canet, il a accompli un travail exemplaire, n’hésitant jamais, dès le début, à tester des techniques nouvelles, quitte à y renoncer dès qu’il comprenait qu’il faisait fausse route ; il a toujours été précurseur dans son domaine et dans sa région, il a su s’entourer des meilleurs pour pallier ses manques et dépasser ses peurs, et surtout il a entretenu avec son terroir un vrai dialogue. Le résultat est là. Pontet Canet est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands vins de Bordeaux.